C’est plus fort qu’elle, Iris ne peut pas s’empêcher de faire des blagues. Elle a toujours une nouvelle idée pour faire tourner en bourrique sa sœur, ses parents, ses grands-parents, tout le monde. Mais attention ! Il s’agit toujours de farces rigolotes, jamais de choses méchantes ou blessantes. Iris ne piège que ceux qu’elle aime bien. Quel intérêt, sinon ?
C’est la veille de Noël que Nouky, sa grande sœur, lui donna sans le savoir une étrange idée de blague.
Depuis quelques jours, les gens s’affairaient pour préparer Noël ; il y avait des sapins et des guirlandes lumineuses partout… L’abondance des décorations était la même dans les rues, un peu comme si la ville attendait elle aussi la visite du gros monsieur en habit rouge.
- Personne n’aurait vu mes clés ? demanda son papa, après les avoir cherchées là où il avait l’habitude de les poser. Iris, si c’est encore toi qui les as cachées, au bout d’un moment ce n’est plus drôle.
La petite fille lui offrit son plus beau sourire en lui tendant le trousseau. Les clés, c’est son truc ! Nouky lui lança alors, avec un regard complice à ses parents :
- Tu auras l’air maligne si le Père Noël ne trouve pas les clés pour venir chez nous, parce que tu les auras encore cachées.
À chaque fois qu’il était question du Père Noël, tout le monde avait des attitudes de complotiste et parlait à voix basse, ce qui agaçait Iris.
Iris considérait le Père Noël comme un proche, tellement elle le connaissait bien. Elle pouvait donc bien lui faire quelques plaisanteries. C’était le seul adulte dont elle aurait pu se faire un ami, or les enfants ne sont pas amis avec les adultes.
Le soir du réveillon, toute la famille était réunie, l’appartement sentait bon, il y avait des jolies bougies, la table était magnifique, et le menu promettait d’agréables surprises.
Iris se demanda si le sapin était assez haut pour glisser tous les cadeaux à son pied. Elle profita du moment où tout le monde parlait en même temps, s’occupait à mettre le couvert et préparer le repas, pour s’assurer que la porte d’entrée était bien fermée et s’empressa - une fois encore - de cacher les deux trousseaux de clés de ses parents dans sa boîte à secrets. Elle n’avait aucun doute sur la capacité du Père Noël à venir, même sans les clés. Juste pour prouver à sa grande sœur qu’elle avait tort de ne pas avoir confiance en lui, tort aussi de penser que les blagues d’Iris pouvaient ne pas être drôles.
Le repas avalé, les succulentes bûches préparées par Mamie dégustées, l’heure était venue de se coucher. Faute de quoi le Père Noel ne passerait pas.
Au petit matin, alors que le reste de la famille dormait encore, Iris n’en pouvait plus d’attendre. Elle se leva, se rendit dans le grand salon et faillit tomber à la renverse : aucun paquet en dessous du sapin ! Aucun.
Prise de panique, elle retourna dans sa chambre, vérifia sa boîte à secret. Les clés de l’appartement y étaient toujours. Ainsi Nouky avait raison : ses blagues pouvaient avoir des effets désastreux. Elle s’en voulait et se recoucha, pleine de remords. Elle était si triste qu’elle se rendormit aussitôt d’un sommeil profond.
Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’une main solide et large la secoua gentiment pour la réveiller, tout en lui mettant le doigt sur la bouche afin qu’elle se taise. Le Père Noël la prit par la main, l’emmena à l’écart pour lui chuchoter :
- Iris, toi qui es la championne pour cacher les clés, j’ai besoin de ton aide.
- De mon aide ? Répondit-elle plus étonnée qu’effrayée.
- Oui. D’habitude, je sais où trouver toutes les clés du quartier, mais cette année c’est plus compliqué.
- Ah bon ? fit-elle, comme si elle ne comprenait pas où le bonhomme rouge voulait en venir.
- Cette année, il y a de nouvelles familles. Elles vivent dans des tentes ou des cabanes entre l’autoroute et le supermarché, mais je ne trouve pas leurs clés.
- Mais… Père Noël… Ils n’ont pas de clé, puisqu’ils n’ont pas de maison.
Iris avait beau être encore toute petite, elle était surprise que le Père Noël ne sache pas que les gens de la rue avaient tout le temps peur. Peur qu’on les agresse, peur d’avoir froid, peur d’avoir faim, et que les cadeaux de Noël ne changeraient pas leur vie de misère.
- Tu ne veux pas m’aider à leur distribuer les cadeaux ?
Le gros bonhomme rouge et la petite fille en pyjama passèrent deux heures à distribuer tout ce qu’il fallait à qui en avait bien besoin. À la fin de leur tournée, le Père Noël raccompagna Iris devant chez elle, sortit une clé de sa poche et ouvrit la porte.
Sans même lui dire au revoir, elle courut voir le contenu de sa boîte à secret. Il manquait bel et bien un trousseau. Ah, il était fort ce Père Noël !
Rassurée que sa blague n’ait pas eu de conséquence, elle fila tout droit vers le sapin. Une seconde fois, elle faillit tomber à la renverse : les cadeaux étaient bien là !
Au petit déjeuner, elle raconta son aventure. Nouky, ses parents, ses grands-parents la regardèrent avec un léger sourire au coin des lèvres.
« Encore leur air de conspirateurs » pensa Iris, rassurée que le Père Noël ne lui ait pas tenu rigueur de la blague des clés.
Par Antoine Blocier
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